Mai 68, étape symbolique d’une évolution sociétale – Souvenirs forts et convictions durables (deuxième contribution)

Participez à la préparation du Café citoyen qui aura lieu le 7 juin à Poitiers en adressant un court texte sur ce qu’évoque pour vous l’expression Mai 68 à cerclecondorcet86@yahoo.com . Une synthèse des contributions servira d’introduction.

Jeune professeur, j’avais 21 ans,  je suis élu président du Comité de Grève à FLORANGE (57) dans la sidérurgie lorraine encore puissante. Notre entente avec les syndicats ouvriers est difficile, bien que nous fassions ici et là piquets de grève communs. Mais dans l’enthousiasme, et avec une bonne rasade de schnaps, nous partons à deux sous un grand soleil vers l’école publique congréganiste (en Alsace Moselle, une congrégation religieuse fait fonctionner une école publique via un bail emphytéotique de 99 ans) et nous allons essayer d’entrer et de les mettre en grève. Le comble c’est que nous y parvenons même si je ne me souviens plus de quels arguments avaient pu être décisifs. L’affaire fait grand bruit, les religieuses sont remises au travail dès le lendemain, et mon sursis militaire est révoqué. Classé dangereux agitateur, on m’isole au centre de sélection militaire. Après des péripéties multiples je pars à la coopération.

J’ai gardé des souvenirs forts pas forcément très aimables pour mes aïnés qui nous ont laissé faire, ne se sont pas exposés, et lorsque le temps des représailles est venu pour les acteurs, ils ne nous ont guère défendus; plus tard voyant les relents de critiques dans des environnements familiaux j’ai compris que même ces actions-là avaient à voir avec un conflit générationnel qui traversait toutes les catégories d’appartenance.

j’ai bien compris la leçon, de cette réaction méchamment administrée : le référendum, De Gaulle à Baden Baden pour s’assurer du concours de l’armée la mieux équipée, les augmentations de salaire vite amorties par une dévaluation, puis un chapelet de lois répressives avec l’encadrement des études supérieures. Siégeant, vraiment beaucoup plus tard aux côtés d’Edgar FAURE au Conseil Supérieur de la Recherche et de la Technologie, j’ai longuement échangé avec lui à propos de cette période et de sa loi magique sur l’Université, puisque votée à l’unanimité sauf l’abstention de ROCARD : son analyse me paraissait corroborer une partie des miennes, à propos d’une grande peur des adultes, surtout des hommes encore chefs de famille, et du manque de considération de la classe politique pour les professeurs, les étudiants, les syndicalistes.

En 1978 je suis enquêté par l’IFOP : ils me posent une question biaisée « êtes vous satisfaits ou insatisfaits des résultats de ces événements? ». L’envie de dire non parce que nous avons été floués, mais la crainte qu’on traduise notre déception en regrets d’avoir conduit ces actions.

En fait les bénéfices réels sont apparus dans le moyen-long termes, avec la déconstruction progressive du primat du vieux mâle : le droit des femmes à ouvrir un compte bancaire, à prendre un emploi sans l’accord explicite du chef de famille, puis plus tard la co responsabilité des enfants, puis la contraception, puis l’IVG, puis la suppression du service miliutaire de longue durée, et une période de 20 années de fort développement associatif et de la montée, bien vue par Alain TOURAINE des « mouvements sociaux » remplaçant les structures politiques et syndicales qui n’avaient pas vu venir ces mouvements et qui s’en défiaient. Sans doute, et c’est pour moi, la principale ombre au tableau, l’individualisme de la société des individus a mis en cause les solidarités importantes et ont fait le lit du libéralisme qui voulait tourner la page du programme social du Conseil National de la résistance

J’ai longuement côtoyé l’un des leaders de l’un des mouvements de mai-juin 68, Alain GEISMAR, qu’il s’agisse de Cabinets Ministériels ou de l’IGEN. Nous n’avions pas besoin d’en parler, et nous n’en parlions pas, parce qu’il avait le droit de ne pas être figé dans le personnage qu’il avait été, lui qui avait été radié de la Fonction Publique et qui a du longuement attendre sa réintégration. Sans doute aussi que nous avions trouvé dans l’Education Permanente une construction concrète de droits nouveaux, qui ont, depuis, subi de nombreuses corrections fâcheuses.

Il en reste peut-être aussi une habitude à ne pas se laisser gouverner par la pensée unique, et par le fameux acronyme TINA (There is no alternative) de Margaret THATCHER et un intérêt très marqué pour la sociologie qui a été la seule discipline universitaire, par delà ses approches et courants parfois très différents, qui a essayé de comprendre l’essoufflement des modèles anciens de la famille, du couple, des partis politiques, du syndicalisme et qui a montré le caractère filandreux des catégories anciennes de regroupement des individus.

Enfin, l’enseignement a digéré cette période comme à l’accoutumée : des méthodes dites actives et pas du tout généralisées ont été prises en compte, mais sans rien changer au fond de pensée ; les soixante-huitards enseignants ont vite trouvé les limites d’une abolition de la discipline mais avec le temps sont venues des modifications plus ou moins abouties : le surveillant général se mue efficacement en « Conseiller d’Education », mais après renouvellement de l’effectif; l’UNEF perd sa carapace rouge et les mouvements lycéens au profit d’une nouvelle UNEF , de SOS Racisme et de la FIDL (Fédération indépendante et démocratique des Lycéens, dont bien des leaders ont accédé au moins à la députation,  le délégué élève prend un tout petit plus d’épaisseur en 1989 mais au prix d’une grande défiance des adultes. L’affaire se clôt à partir des événements de 1986 contre les Lois MONORY et DEVAQUET qui allaient donner aux anciens ministres de DE GAULLE, comme FOYER, leur revanche sur 68 : une lame de fond puissante et l’assassinat de Malik OUSSEKINE font basculer l’opinion publique et la réaction à 68 est anéantie.

 

 

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